La Sénégalaise Oulimatou Dione Diakhité est contrôleuse aérienne à l'aéroport international Léopold-Sedar-Senghor de Dakar. Découverte d'un quotidien exigeant, "où l'erreur est strictement interdite".
43 ans, Oulimatou Dione Diakhaté a déjà derrière elle quinze années de carrière au service de l'Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna) en tant que contrôleuse aérienne à l'aéroport international Léopold-Sédar-Senghor de Dakar. "Dès qu'il s'installe dans l'avion, le pilote est aveugle. Il me confie en quelque sorte sa sécurité, celle de son équipage et de ses passagers", explique cette femme mince et élégante en se dirigeant avec détermination vers la salle de contrôle du Centre régional de la navigation aérienne (CRNA) de Dakar, bâtiment équipé d'un radar et situé à quelques encablures de la tour de contrôle.
Éviter les collisions
"Ici, on s'occupe de réguler l'espace aérien pour les avions en survol", indique-t-elle avant d'ouvrir la porte d'un vaste open space climatisé. Elle s'apprête à y passer plus de sept heures assise devant un immense écran radar représentant l'espace aérien avec les appareils en mouvement. Sa mission : éviter les collisions et fournir aux pilotes des informations telles que les données météorologiques ou l'état du trafic.
Au fur et à mesure que les avions pénètrent dans sa zone, elle prend le relais des contrôleurs des régions d'information de vol (FIR) limitrophes et note les données concernant chaque appareil sur des bandelettes orange (strips).
Dans la salle de contrôle, la concentration est à son paroxysme. Mais si le stress est présent, difficile de le déceler. Plus de 250 appareils traversent quotidiennement l'espace aérien sénégalais, qui couvre la terre et l'océan. L'équipe doit en gérer simultanément une vingtaine. "Tous nos échanges sont enregistrés", indique un contrôleur aérien d'origine burkinabè. "Quand [en 2009] le vol Rio-Paris d'Air France a disparu au-dessus de l'océan Atlantique dans la FIR Atlantico, limitrophe de la FIR Dakar, nous avons tous été très affectés. Nos échanges avec l'équipage ont été saisis pour les besoins de l'enquête", se remémore-t-il. Les communications HF (pour high frequency, le canal sur lequel les contrôleurs communiquent) grésillent de plus belle dans la salle de contrôle. Le bruit est infernal. "On s'y habitue, à force. La passion nous permet de gérer beaucoup de choses", sourit Oulimatou.
Tests médicaux
Ce mardi, de 13 h 45 à 21 heures, elle est accompagnée de sa collègue Aminata Mbaye et de deux stagiaires, étudiants à l'École africaine de la météorologie et de l'aviation civile (Eamac) de Niamey, au Niger - dont elle est sortie en 1995. Son diplôme de technicien supérieur de la navigation aérienne en poche, Oulimatou Dione Diakhaté a débuté sa carrière comme agent d'opération chez Air Afrique. Pour disposer de la licence de contrôleur délivrée par l'Anacim (organisme du ministère sénégalais des Transports), elle a dû obtenir l'aval du CRNA, satisfaire à une batterie de tests médicaux et atteindre un excellent niveau d'anglais. Des critères sur lesquels elle est évaluée chaque année, comme ses collègues.
Aujourd'hui, cette mère de deux enfants gagne environ 1 400 000 F CFA (2 100 euros) net par mois, une somme qu'elle juge insuffisante compte tenu de la masse de travail fournie et des horaires contraignants (les contrôleurs se relaient sur des "quarts" allant de 6 h 45 à 13 h 45, de 13 h 45 à 21 heures et de 21 heures à 6 h 45).
Quant aux conditions de travail, Oulimatou clame qu'elles pourraient être meilleures. "Nous sommes en sous-effectifs alors que tout le trafic entre l'Europe et l'Amérique du Sud passe par notre centre. Nous ne sommes que 50 contrôleurs aériens alors qu'il y en a plus de 200 à l'aéroport de Casablanca", déplore-t-elle. Résultat, elle n'a qu'un jour et demi de repos par semaine au lieu des deux jours et demi prévus. Et ses doléances ne s'arrêtent pas là : "Il faut revoir la gestion du personnel, mieux promouvoir ce métier, davantage encadrer la formation des jeunes..."
La place des femmes
Des revendications qui l'ont poussée à adhérer au Syndicat des contrôleurs aériens du Sénégal, dont elle est élue depuis 2007. Elle est également, depuis 2005, vice-présidente pour l'Afrique de l'Ouest de la Fédération des associations des contrôleurs de la circulation aérienne de l'Asecna.
Parmi ses griefs figure également le manque de place faite aux femmes dans sa profession : à Dakar, elles ne sont que dix. "C'est bien dommage. Je pense sincèrement que les femmes sont les plus à même de faire ce métier, en ce qui concerne la gestion du stress. Et puis, les pilotes préfèrent entendre une voix féminine car c'est plus rassurant."
Tous les quinze jours, les contrôleurs quittent le CRNA pour la tour de contrôle, où ils supervisent les avions en phase de décollage ou d'atterrissage. Perchés à 112 m de haut, ils ont une vue à 360 degrés sur l'aéroport. Oulimatou Dione Diakhaté se rappelle y avoir connu des situations assez cocasses, comme avec ce pilote terrorisé par un boa se dorant sur la piste d'atterrissage.
À 21 heures, il est temps pour elle de laisser la place à une autre équipe au CRNA. Elle sera de retour le lendemain, à 6 h 45. Ambitieuse, la Sénégalaise n'entend pas rester contrôleur toute sa vie. "Et quand bien même je le voudrais, c'est humainement impossible, affirme-t-elle. C'est un métier extrêmement stressant où l'erreur est strictement interdite." Oulimatou a une nouvelle corde à son arc : elle vient d'être nommée chef par intérim de l'unité des contrôleurs aériens.
http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20131011190832/